15/03/2009

Paris-Potemkine


Du 20 mars au 1er juillet 2008, la bibliothèque nationale de la ville de Paris offrait ses cimaises à une exposition photographique intitulée Les parisiens sous l’occupation. Polémique.

Comme l’indique la postface du catalogue de l’exposition, les clichés offerts aux regards appartiennent à un fonds exceptionnel de « 1058 vues diapositives sur Paris, les seules vues en couleur faites par un photographe français pendant l’occupation ». Leur auteur, André Zucca (1897-1973), était alors reporter à Signal, revue de propagande allemande. C’est à ce titre, qu’il a pu prendre à son aise des vues de la capitale, alors que toute la zone nord était frappée d’une interdiction de photographier à l’extérieur. C’est également pour quoi il a été le seul Français à bénéficier de films Agfa couleur, technique ultra moderne à l’époque, que les Allemands sont à mettre au point dans un rapport de concurrence acharnée avec la Kodakolor américaine.

Visitant la ville en juillet 1940, Joseph Goebbels, ministre nazi de la propagande, ordonne à ses fonctionnaires de relancer l’activité « pour lui rendre animation et gaieté ». De fait, les images de Zucca montrent des kiosques de musiciens, une offre abondante de spectacles et de distraction.

Les avenues, étrangement élargies, sont sillonnées de paisibles charrettes à bras et de bicyclettes. Les parisiens prennent le soleil aux terrasses des cafés, jouent aux cartes, se baignent dans une Seine limpide. Les jeunes parisiennes, montées sur des talons bizarroïdes, arborent des lunettes de soleil. Il en est qui se remaquillent, d’autres qui pêchent à la ligne. Les enfants font du patin à roulettes au Trocadéro. On flâne aux étals des bouquinistes. On chine à Saint-Ouen.

Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Les innombrables séries humanistes d’un Doisneau nous montrent un Paris nostalgique auquel le noir et blanc sied à merveille, justement en ce qu’il contribue à une idéalisation sympathique et quelque peu désincarnée. En couleurs, celles de Zucca, nous deviennent étonnamment proches, au point de provoquer une troublante perte d’échelle chronologique.

Mensonge historique

Ainsi que le dénonce l’historienne de la photo Françoise Denoyelle, les images exposées tendent à nous faire croire à une occupation allemande qui n’aurait pas été si pénible pour les Français. Un relativisme inquiétant, il est vrai, puisque du même acabit, finalement, que celui professé par le leader d’extrême droite Jean-Marie Le Pen. Françoise Denoyelle allant jusqu'à prétendre qu’une telle exposition va dans le sens d’une réhabilitation à bas bruit de l’idéologie collaborationniste.

Composer des mises en scène pour complaire aux autorités, offrir une imagerie normalisée conforme à une idéologie : c’est la définition du village Potemkine.

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Si les photos du reporter de Signal scandalisent aujourd’hui, c’est aussi parce qu'elle écornent un peu plus le mythe mensonger d’une France unanimement résistante. Comme avaient pu le faire Lacombe Lucien, de Louis Malle, filmant une France profonde plus opportuniste qu’idéaliste, ou Le chagrin et la pitié, de Max Ophuls, plongeant dans le quotidien pépère de la ville de Clermont-Ferrand pendant la guerre.

Extrait du film de Max Ophuls :

Extrait du film de Louis Malle :




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