21/08/2009

A mots couverts


Paru dans Ouest-France du 20/6/2009, un article concernant le suicide d'un malheureux adolescent confronté à la difficile séparation de ses parents. Emus, ses jeunes camarades défilent, arborant d'étranges pancartes.

L'événement constitué par le suicide de Jérôme, suscite l'émotion auprès des jeunes du quartier qu'il habitait. Une photo les montre en train de défiler pour rendre hommage à leur camarde qui s'est jeté du sixième étage. Ils tiennent une grande pancarte, d'environ un mètre sur trois, contenant, apparemment cinq lignes d'inscription, la dernière étant, toujours apparemment, écrite en plus gros caractères et soulignée. Pourquoi apparemment ? Parce que les inscriptions ont été rendues illisibles. Il est douteux que ces tous jeunes gens aient décidé de défiler dans la rue en arborant une pancarte illisible. Leur message a donc été censuré par les éditeurs du journal, qui d'ailleurs ne donnent aucune explication à ce geste. Une deuxième pancarte, plus petite, a subi le même traitement. Leur message est-il insultant pour les institutions ? Met-il en péril l'orthodoxie de la langue française ? Contrarie-t-il le recueillement et le travail de deuil de la famille ? On ne la saura pas. En nous privant d'explications, le quotidien nous laisse à nos conjectures. De plus, l'absence d'explications, en nous imposant un mode de lecture sur les événements, nous rend tacitement complice de la censure.

Si les mots avait été totalement effacés, il n'aurait subsisté qu'un panneau blanc, qui, en la circonstance, aurait d'ailleurs conservé une opportune symbolique (virginité, pureté, douleur ineffable). Mais les censeurs ont fait un autre choix : celui de dégrader les mots. Au lieu d'un effacement partiel, on pourrait donc parler d'une superposition, où la censure, rendue visible, viendrait s'afficher à la place du message initial.

Nous sommes habitués à ces phénomènes de floutage et vitriolage en tous genres, touchant habituellement les jeunes enfants, ou les taulards. Ici, tous les participants à la manifestation (mineurs comme Jérôme) sont parfaitement identifiables. Il en est d'ailleurs qui sourient face à un objectif qu'il ont bien repéré. Et donc, ça n'est pas leur visage qui est flouté, mais leur message. Pourquoi ? « Mon fils avait l’impression qu’il ne serait jamais écouté » dit la maman de Jérôme, accablée. Les jeunes, à qui on censure ainsi leur écrit, auront-ils l'impression d'être écoutés ?

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