02/08/2009

« Comme un mot ordinaire »


Euh, « Iframes », c’est pas une marque de réfrigérateur ? Non, l’Iframes, c’est une école sociale qui forme éducateurs et gardiens d’immeubles. Son logo, à première vue quelconque, mérite bien quand même un petit arrêt sémiologique (1/2).


Le mot qui sonne comme une banquise est heureusement tempéré par un « Le Campus » aux connotations bienvenues d’université californienne et d’agitation soixante-huitarde, avec ce que cela impliquerait d'effervescence intellectuelle et d'ouverture aux débats. On peut toujours rêver...


Les longuettes initiales de cet « institut » , avec ce qu'il faut de consonnes et de voyelles, forment bien, non un sigle, mais un acronyme. C’est-à-dire qu’au lieu d’être ânonnées une à une, les lettres sont prononcées « comme un mot ordinaire », selon la définition du Robert. Marque patente d’une intention créatrice qui va au delà de l’anecdote, quand on sait comme la (nov)langue sociale use à sasiété d’expressions à rallonges spécialement aptes à muter tôt ou tard en sigles, et mieux encore en acronymes, jusqu'à ce qu'on n'y comprenne plus rien.


Ce goût immodéré pour les sigles, également observable dans les casernes, est-il la seule marque de cousinage entre l’éducateur et l’homme de troupe ? Ça c’est une autre histoire.


Bouffissures et bizarreries lexicales ne datent pas non plus d’hier. Georges Lebouc et son Parlez-vous le politiquement correct ? rappelle comment le grand Molière avait déjà trouvé matière à fustiger, avec la langue des courtisans de Louis XIV, dans Les précieuses ridicules.


A l’instar du satirique Molière, on peut sourire des inventions de cet « Iframes » et de la langue sociale en général. Et heureusement qu'un humoriste du gabarit de Coluche, lorsqu’il traduit, jouant un personnage d’agent de police, « J’étais affecté à une intersection à la surveillance des usagers » par « En clair je bullais à un

carrefour », nous vaccine d’un puissant antidote.



Salutaire prise de conscience, entretenue par le célèbre trio Les inconnus, pour qui ces langages hermétiques et leur capacité de brouillage n'ont qu'un but, en définitive : celui de vous escroquer.



Mais attention, lorsque Victor Klemperer analyse clandestinement, jour après jour, comment s’instille La langue du troisième Reich, il nous donne à considérer jusqu’où peuvent mener litotes insidieuses, euphémisations et manipulations langagières « à l’odeur de charogne ». Et là c’est beaucoup moins drôle.


Plus près de nous, en attendant un logement digne, le clochard est allé se rhabiller chez les « sans domicile fixe » ou « SDF »,

« essedéeffe » aurait sans doute écrit Alphonse Boudard, en préservation d’une certaine orthodoxie. La « personne en situation de handicap », comme le SDF, témoignent de ces deux extrêmes de formulation, qui bouffie, qui abrégée, mouvements respiratoires d’une langue artificielle qui se croit vivante.


Comme dans « Ipod », l’initiale d’ « Iframes » témoigne aussi d'une espèce de familiarité inattendue avec les mots de la langue Internet, préfixe d’une modernité incontestable. Vu le conditionnement langagier où l’on baigne de ce côté-ci de la Loire, comme partout ailleurs du marigot franglais, le mot tout entier appelle de fait une prononciation amerloque, ce qui donnerait phonétiquement quelque chose comme « Aïe Fuamesse ». Merci Alphonse Boudard.


Renversant, non ?


Epuré en diable, le logo de l'Iframes ne fait que reprendre trois signes graphiques facilement identifiables : le point, l’apostrophe, le rectangle. Leur assemblage devient un « I » stylisé.


L’apostrophe couronnée du point compose un troisième signe de ponctuation : le point-virgule. Utilisé pour composer des incidentes multiples, comme chez Flaubert, auteur d’un indispensable Dictionnaire des idées reçues, le point-virgule peut au mieux servir la complexité du discours, au pire achever de le rendre illisible.


« I » c’est encore le « Aïe » anglo-américain, clin d’oeil culturel d’autant plus saillant que l’apostrophe en question surfe sur la vague d’une marque d’articles de sport universellement connue, y compris pour sa conception du social (ça tombe bien) : « Naïque. »

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