01/08/2009

« Mission d’éloignement »


Extraites du « Best of 2006 » du journal Les inrockuptibles, deux pages très contrastées concernant l'expulsion menottée d'un malheureux lycéen nigérian du territoire de France.


D'un côté une lettre officielle du directeur de la police nationale, Michel Gaudin, félicitant la compagnie Air France et ses pilotes pour leurs « comportements exemplaires » dans ce qu’il appelle une « mission d’éloignement ». De l’autre, le témoignage d’un jeune Nigérian, Jeff Babatunde-Shitu, adolescent sans histoires, contraint de passer tout un été dans un « centre de rétention » avant d’être éjecté, pardon, « éloigné ». Terme brutal d'un parcours non moins exemplaire d'intégration de deux ans.


Aux expressions désincarnées comme « mission d’éloignement » répondent les mots simples et vrais du lycéen : « J’ai essayé d’être le meilleur élève possible », « Tout ce que j’ai essayé de construire a été jeté au caniveau », « Je veux rentrer chez moi à Paris. »


Les deux pages offrent un dytique saisissant, où la froideur des euphémismes contraste violemment avec le vécu du témoignage. L’effet de collision ainsi produit est le même que celui imaginé par Lydie Salvayre dans son roman La médaille, dans lequel des patrons se gargarisent d’un discours auto-satisfait, tandis que leurs ouvriers racontent leur vie de labeur très discordante.


Que penser, à ce propos, de la présentation quasi publicitaire d'un centre psychiatrique de l'agglomération nantaise, lorsqu'elle est soumise à un pareil effet de collision par une enquête journalistique révélant certaines de ses curieuses pratiques ?


Le témoignage, enrichi de la photo du jeune Nigérian, contrebalance par une bouffée d'humanité la langue technocratique du pouvoir, comme dans cet autre exemple d'un travailleur précaire remercié après des années de service.


La réalité, lorsqu'elle est ainsi pervertie, enjolivée, ou simplement biaisée, par de jolis mots, de belles images, prend rapidement la forme d'un village Potemkine.


Les euphémismes et les compliments émaillant la lettre policière apparaissent comme d'autant plus violents qu'ils concernent une opération génératrice de souffrances, tel que nous le révèle par contraste la réalité du témoignage individuel. Doit-on dire qu'écrits par un chef de la police, leur violence est pour ainsi dire consubstantielle, à défaut d’être acceptable, la police étant bien tenancière de « la force publique », avec ce que ça impliquerait ?


Quel autre milieu pourrait-on opposer à ce milieu policier, si attentif à la bonne réalisation de sa « mission » ? Un milieu ou

« empathie », « accompagnement », « réciprocité », respect de

l’« altérité », « engagement » même ! ne seraient pas des vains mots : le social, pardi. Or, s’attendrait-on à observer une pareille utilisation des euphémismes et du politiquement correct dans le milieu social ? S’attendrait-on d’ailleurs à ce qu’un tel milieu procédât lui-aussi à des expulsions de son petit territoire ?


Un exemple concret d'une semblable expulsion, qui a bel et bien eu lieu, au coeur-même d’une école sociale assez fort dépourvue de douceur angevine.


Enregistrer un commentaire