20/03/2009

C'est pas moi, c'est l'autre


Décryptage de Douceur angevine

A travers son livre-exposition Prenez soin de vous, la photographe et plasticienne Sophie Calle offre à pas moins de 107 femmes, la pâture d’une lettre de rupture (un mail) qu’elle a reçue personnellement. Toutes ces femmes, avocate, commissaire de police, institutrice, normalienne, y répondent selon leur sensibilité et leur « identité professionnelle » respective.

Les lectures multiples s'imposent petit à petit comme un matériel de décodage, transposable à toute lettre du même genre, qu'elle émerge du domaine privé ou administratif.

La lettre reçue par Sophie Calle devient un archétype. Les analyses suscitées à travers son extrême médiatisation sont facilement transposables, par exemple, à une lettre de licenciement, ou à la lettre de rupture de l’IFRAMES d'Angers.

Qu'un amant plaque sa partenaire ou qu'un patron vire son salarié, il apparaît donc que les deux énergumènes utilisent peu ou prou le même discours de justification.

Prenez soin de vous met notamment en évidence ce discours qui anime l'auteur de la lettre, de telle sorte que l’événement rupture n'apparaisse pas comme sa décision arbitraire et unilatérale, mais comme découlant fatalement du comportement de l’amante éconduite.

Voyons la phrase : « L’IFRAMES Le Campus prend donc acte de la persistance d’attitude interrogées tout au long du parcours et de l’impossibilité manifestée par Monsieur … de prendre en compte les observations qui lui sont adressées, de différentes manières, depuis son « entrée en formation ».

A travers un maniériste « on t’avait bien prévenu », l'IFRAMES, qui ne manque pas de rappeler sa perspicacité et sa magnanimité, dit simplement prendre acte d’attitudes [ lesquelles ? ] qu’elle a bien repérées [ Quand ? Comment ? ], « de différentes manières », depuis le début. « L’impossibilité » relève encore une fois du handicap (surdité ?) et la responsabilité de la rupture est toute entière projetée sur l'autre.

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« Charger l’adversaire des effets de ses propres fautes »

Dans Mythologies, Roland Barthes analyse, entre autres faits de société, le discours anti-intellectuel du leader populiste Pierre Poujade (ascendant spirituel de Jean-Marie Le Pen). Il donne au passage une illustration de ce phénomène de projection, qui se traduit dans son exemple par « la réduction de toute parole adverse à un bruit, conformément au procédé constant des polémiques petites-bourgeoises, qui consiste à démasquer chez autrui une infirmité complémentaire à celle que l’on ne voit pas en soi, à charger l’adversaire des effets de ses propres fautes, à appeler obscurité son propre aveuglement et dérèglement verbal sa propre surdité. »

Extrait d'un entretien avec Roland Barthes.

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