24/06/2009

Autoritaire







Une lecture du

roman de Lydie Salvayre,

La médaille (6/9)


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Situé à un niveau hiérarchique intermédiaire, le contremaître Pinchard est présenté ainsi par les dirigeants : « Votre amour du travail n’a d’égal que votre haine des parasites. »


Le contremaître multiplie les déclarations d’allégeance à l’autorité. Il paraphrase servilement le discours de ses maîtres. Une absence de pensée personnelle à mettre au compte d’une imbécilité foncière ou, plus psychologiquement, d’une stratégie consciente ou inconsciente de défense ? Selon la philosophe Annah Arendt :

« clichés, phrases toutes faites, codes d’expression standardisées et conventionnelles, ont pour fonction reconnue socialement de protéger de la réalité. » Et pour le psychologue américain Stanley Milgram : « [quand] l’euphémisme en vient à dominer le langage ; il ne faut pas y voir l’emploi frivole d’un artifice de style, mais un moyen de préserver l’individu de toutes les implications morales de ses actes. »


Décrivant ses méthodes – fichage scrupuleux, entretien intimidant ressemblant bigrement à une séance de torture, surveillance farouche –, le contremaître fait état de ce qu’il appelle sa « grande force de caractère » ( cf. le thème de la virilité au travail exploré par Christophe Dejours). Alors qu’il a été confronté à un accident mortel, il dit avoir refusé d’arrêter la chaîne de production, ce malgré « l’émotion des camarades ! Tout un baratin que je connais par coeur. Je dis non, plutôt crever que de changer d’avis ». Pourtant, un peu plus loin, il explique comment il accepte,

« à contrecoeur » le cadeau d’une bouteille de Porto. Le terme

« à contrecoeur » indiquerait-il un cas de conscience ? Inflexible face à la mort d’un homme, il se laisse corrompre par, littéralement un pot de vin. Inversion perverse dans l’échelle des valeurs, qui achève de le rendre abject.


De la même extraction que ceux qu’il contrôle, mais élevé à un niveau hiérachique intermédiaire, il est le flci assidu des autres ouvriers. Auxiliaire zélé, il correspond au personnage du kapo, celui qui a droit de vie ou de mort sur eux, seule primant sur les individus la bonne marche du camp. Primo Levi décrivant les

« prominents juifs » tels qu’il a pu les observer durant son séjour à Auschwitz :


« Ils sont le produit par excellence du Lager allemand ; qu’on offre à quelqes individus réduits en esclavage une position privilégiée, certains avantages et de bonnes chances de survie, en exigeant d’eux en contrepartie qu’ils trahissent la solidarité naturelle qui les lie à leurs camarades : il se trouvera toujours quelqu’un pour accepter. Cet individu échappera à la loi commune et deviendra intouchable ; il sera donc d’autant plus haïssable et haï que son pouvoir gagnera en importance. Qu’on lui confie le commandement d’une poignée de malheureux avec droit de vie ou de mort sur eux, et aussitôt il se montrera cruel et tyrannique. » (Levi Primo, Si c’est un homme (p. 97), éd. Julliard, 1987)


On retrouve bien ce type de personnage dans les descriptions du psychologue Stanley Milgram sur la soumission à l’autorité. Voici, par exemple, ce que dit l’un des sujets les plus zélés de l’expérience de Milgram :


« Je crois que je me suis montré discipliné et obéissant, j’ai suivi scrupuleusement les instructions qu’on m’a données comme je le fais toujours... [...] Alors ma femme m’a demandé : « et si cet homme était mort ? » Et moi j’ai répondu : « Hé bien, il serait mort. Moi j’ai fait ce qu’on m’a dit de faire. » ( Milgram Stanley, Soumission à l’autorité (p. 115), éd. Calmann-Lévy, 1974).


« Les membres de la tribune, qui n’ont cessé de discuter entre-eux tout le long du discours de M. Pinchard, applaudissent sans enthousiasme ». Impeccablement dévoué, et pourtant méprisé.


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