23/08/2009

Embuscade


La notion d' « identité professionnelle » vue par des Talibans d'Afganistan photographiés par Paris-Match.


Dans son numéro 3094 de septembre 2008, le magazine Paris-Match publiait un reportage sur des Talibans d’Afganistan qui tuèrent dix soldats français en embuscade. Controversé pour l'effet de tribune qu'il induit, le reportage présente des membres du commando victorieux, arborant les tenues et les armes prises sur les morts. L’un d’eux, visage masqué par un foulard traditionnel, porte casque et treillis de camouflage, ainsi que le célèbre fusil famas, caractéristique de l’armée française. Le fusil a une double symbolique : suffisamment porteur d’identité nationale, il est aussi traditionnellement emblème phallique. Le foulard peut être apparenté au kéffieh palestinien, originellement symbole de résistance. Débordant largement la gorge, il empiète sur l’uniforme strict de l’armée régulière, désordre textile qui participe de l'humiliante démonstration de force. Survivance d’une tradition archaïque cannibale, endosser l’uniforme implique une sorte de dépeçage préalable, tel que le pratiquaient les Aztèques à l'encontre des vaincus. S'emparer de leurs armes ajoute à la manifestation d'une virilité supérieure. Si bien qu’en paradant ainsi vêtus des uniformes de leurs ennemis sous l’objectif d’un magazine à grand tirage, les Talibans, experts en communication, adressent un cuisant camouflet à l’armée française, laquelle répond par la surenchère des quatre vingt morts d’une opération de représailles, (satisfaisante sur le plan machiste, mais sans doute plus hasardeuse sur le plan politique).   


Une autre photo du reportage de Paris-Match expose un objet plus intime : une montre à quartz bon marché, dont la valeur magnifiée par la mise en scène ne saurait être que symbolique. Elle est donc présentée de manière très suggestive, comme un oiseau blessé, comme la précieuse eau fraîche au creux des mains. Photographiée complaisamment (au point qu’on pourrait parler de lieu commun), avec une profondeur de champ très travaillée, la montre est un objet symbolique, de l’idée de rareté, de fragilité. Ses pulsations infimes et sa fonction d'égrenage du temps, attestent d’un reste de vie, dont les mains font un écrin secourable et protecteur. La légende précise qu’elle a été « rendue par les Talibans. A remettre à sa famille ». S’agit-il d’un geste humanitaire ? Négligée par les Talibans, la montre qui constitue sans doute l’un des seuls objets personnels tolérés par le règlement du soldat, conserve à nos yeux une valeur symbolique forte, non plus comme objet d’identité professionnelle et nationale, mais comme objet intime. Le tri opéré par les Talibans attribue des statuts différents aux objets dépouillés, mais les uns et les autres sont des témoins complémentaires de la même histoire.


Particulièrement forte, dans le mesure où elle est photographiée « sur le terrain » et non, par exemple, à l’occasion d’un défilé du 14 juillet, l’identité professionnelle du jeune soldat, symbolisée par ses vêtements (l’uniforme) et ses accessoires (le fusil) est reprise au compte de Talibans férus de signes extérieurs d'appartenance (la burka ou la barbe). L’identité professionnelle exploitée ici n’est pas seulement celle de soldat-de-l’armée-française, mais celle de soldat-de-l’armée-française-mort. Une symbolique décuplée par le fait que l’appropriation découle d’une histoire violente (individuelle), et qu’elle s'amplifie d’un contenu supplémentaire de menace envers le pays tout entier jugé envahisseur. Il ne s’agit bien sûr pas d’un simple carnaval, mais d’une opération de communication impliquant la mort dans sa dimension individuelle, et un message politique adressé à la face du Monde.

Comme en témoignent, tour à tour le truand Jacques Mesrine et l’acteur Silvester Stallone, la pose, fusil barrant le ventre, est aussi un stéréotype. Un soldat en pleine possession de ses moyens, ou un menuisier au travail : chaque fois des uniformes et (ou) des accessoires censés attester d’une identité professionnelle au premier coup d'oeil, comme autant d'images d'Epinal le gangster, le baroudeur justicier).
           

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