10/05/2009

La croqueuse de chocolat


Une photo d'Olivia Gay, de sa série Les ouvrières :

Jeune femme en pull-over mou piquant ses doigts à l’angle d’une boîte en carton. Le visage rêveur est comme extatique. Regarde-t-elle un écran quelconque ou un songe intérieur ? En gros, c'est la même chose, on dirait bien qu’elle pose pour un peintre : où sa gestuelle infiniment précise et délicate rappellerait le portrait Renaissance de Gabrielle d’Estrées et une de ses sœurs, tiens.

Dans la photo d'Olivia Gay, le gris domine, y compris jusqu’au pull. Progressivement, le kraft et puis le rouge au contact des mains signalent le travail.

Tandis qu’elle mime d’extirper de la boîte un précieux contenu, chocolat, bonbon, le regard de l'ouvrière, pas dupe, est ailleurs. Elle ne regarde pas ce qu’elle fait, agissant machinalement. Ses doigts très sûrs s’émancipent du contrôle des yeux, qui rêvent ou se concentrent ailleurs, déconnectés de l’action immédiate.

Mais que fait-elle exactement ? Peut-être ne fait-elle que poétiser le geste mécanique réclamé par son travail de cartonnage, comme si, alors, elle sublimait son ennui. Ou peut-être, c’est autre chose : comme un pilote d’essai teste un véhicule, elle aurait tout d’une sorte de goûteuse, à éprouver cette boîte raffinée, mimant nonchalamment un geste frivole au dessus de sa classe.

L’ouvrière est bien « au centre » de la scène où elle rayonne mélancoliquement, son attitude accaparant tout. Elle remet le travail en cours à sa triste place d’énigme. Elle a quand même le dessus.

Cette photo, qui fait passer au second plan l'activité-même censée occuper l'ouvrière, aurait sa place dans la documentation d'un centre médico-social, où l'épanouissement du patient est censé primer sur une logique de production. Pourtant, si l'on en juge par celles illustrant le livret d'accueil du centre psychiatrique de La Mainguais, la littérature institutionnelle se contente plutôt de clichés plus stéréotypés.


Enregistrer un commentaire