23/06/2009

« leurs mufles ouvriers »







Une lecture du

roman de Lydie Salvayre,

La médaille (3/9)


Précédent.


Selon la célèbre formule de Pierre Desproges, on pourrait rire de tout, mais pas avec n’importe qui... Et justement, Pierrre Desproges. Le style de Lydie Salvayre n’est pas sans rappeler les cocasseries de l’humoriste. Comparons :


« Elle n’avait qu’un désir, revoir son soleil (moi) avant sa mise en bière, qui ne saurait tarder. Dans le chapitre final, d’un lyrisme sauvage, elle me réclamait à cor et à cri. Et moi qui avais toujours su résister à son corps qu’elle avait difforme, j’ai pas pu résister à ces cris qui étaient perçants. J’ai obéi aux sommations. Je suis rentré. Côté filial, je suis un faible (La médaille p. 31). »


« On est bien peu de choses, mes frères, en pyjama rayé façon Auschwitz, face à six gros bras velus, pétants de santé et armés de sangles de cuir, qui vous soufflent à la gueule, par les naseaux béants de leurs mufles ouvriers, l’air frais du matin, frémissant de leur impatience à vous casser la baraque (Desproges Pierre, Chronique de la haine ordinaire (p. 134), éd. Le Seuil, 1987). »


Pour se replonger dans l'imaginaire langagier du génial Pierre Desproges :



Dans La médaille, comme chez Desproges, l’audace est double : convoquer des thèmes majeurs appelant un sentiment d’horreur et d’épouvante, et pourtant y mêler un humour à tout-va. Les mots de l’auteur suscitent notre enchantement, tel est notre embarras : nous nous régalons de considérations pseudo-savantes sur les infériorités raciales, comme nous riions des pantalonnades du clow Bénigni en pyjama rayé. Autant dire que notre sens moral s’en trouve chamboulé. Nous aurions vite fait de nous récrier : ça ne se peut pas, une telle langue est invraisemblable, tout ceci tient de la fantaisie littéraire douteuse. Voire. Dans la vraie vie, se peut-il qu’un salaud nous séduise par ses trouvailles langagières ? Se peut-il qu’un bourreau mêle tout naturellemengt l’atroce aux perles lexicales les plus enthousiasmantes ? Voyons un peu :


« il fallait déposer notre amabilité aux bords de la vase jusqu’au sifflet de la fin de travail. La gracieuseté non plus n’était pas admise dans les marais. Les marais ne laissent aucune place à l’exception. On avait la méchanceté à tuer pour oublier le doute, et un boulot à parachever, voilà tout. » (Hatzfeld Jean, Une saison de machettes (p. 53), éd. Le Seuil, 2003)


Changement de latitude. Les marais en question ? Ceux du génocide perpétré contre les Tutsis du Rwanda en 1994 (au moins 800 000 morts). Les mots sont de la bouche d’Elie, paysan hutu qui, comme tous ses acolytes, parle ce Français bigarré mêalnt tournures classiques, belgicismes et autres bonheurs de style. Plus de fiction, nous nous cognons à la réalité. Et l’on se sent bien pris à un piège, où le plaisir des mots le disputerait avec l’impératif intellectuel de comprendre ou un inavouable voyeurisme. De même que dans La médaille.


Un entretien avec Jean Hatzfeld au sujet de son livre Une saison de machettes :


Précédent.


Suivant.

Enregistrer un commentaire