31/07/2009

« Ni l’envie ni le temps »



Analyse d'une lettre de François Le Floch, directeur administratif du centre dit de réadaptation Les briords, et nouveau directeur administratif du centre psychiatrique de La Mainguais, en référence au travail de Julien Prévieux sur le rituel des lettres de motivations.



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Fort brève, en comparaison de la lettre-bilan que je lui adresse, la réponse de François Le Floch se caractérise également par son insipidité. La première phrase, formulée comme un compliment hypocrite, s’apparente à celles d’une banale lettre-type, comme il s’en produit mécaniquement des milliers chaque jour pour éconduire des candidats à l’embauche. Au mieux, il pourrait s’agir d’ironie, mais il s’agit trop, en fait, d’un de ces « Votre candidature de véritable professionnel a retenu toute notre attention, et patati et patata », comme l’a magistralement mis en évidence Julien Prévieux dans son ouvrage Lettres de non-motivation, et son remarquable catalogue de réponses au discours paradoxal qui amalgame dans un même tout le compliment et la fin de non recevoir. La deuxième phrase, la plus longue, celle censée composer l’argumentaire, est en fait constituée pour l’essentiel de mots extraits de ma propre lettre. L’auteur nous en dresse une liste, apparemment d’ailleurs non exhaustive, si l’on en juge par la présence énigmatique de points de suspension. Des mots ou expressions orphelins de leurs phrases d’origine, simplement mis bout à bout et entre parenthèses, d'autant moins des citations.

Ma lettre contient quelques centaines de mots. Pourquoi ce directeur a-t-il choisi ceux-là plutôt que d’autres ? Correspondent-ils, dans son esprit, à un champ lexical particulier ? Certains (schizophrène, déni de réalité) appartiennent au vocabulaire professionnel en vigueur, ils ne sont donc pas spécialement incongrus. Y voit-il l’expression d’un colère ? Et d’ailleurs un tel sentiment de colère ne serait-il pas légitime, en la circonstance ? Entre la liste de mots et la décision censée en découler, il manque toujours le principal : la caractérisation de faits. Le lecteur, privé de cette caractérisation, est donc condamné à errer sans fin, dans un dédale de conjectures. Où se perdre ainsi revient à tomber dans le panneau d’un procédé pervers qui consiste, sans jamais nommer les choses clairement, à projeter la culpabilité sur l'autre.  

Si l’on en croit l’auteur de la lettre, cette liste de mots serait suffisante pour justifier a posteriori sa décision de « dispense d’activité » (un euphémisme pour camoufler une mise à la porte) qu’il qualifie de « bonne décision »Cette liste est brandie comme une justification, alors qu’elle ne prouve rien du tout. Qui plus est, leur simple mise entre parenthèses, sans autre mise en forme explicative, en fait l’état zéro de l’analyse de texte. Justifier a posteriori une décision par les manifestations qu’elle engendre chez celui qui en est la cible, cela revient très clairement à confondre causes et conséquences. Cela revient aussi à dénier chez la cible toute manifestation personnelle, toute part sensible, authentique marque de mépris, ou d’ignorance. Or, cette lettre n’est pas que l’oeuvre isolée d’un directeur de centre psychiatrique peu inspiré. Juger (et condamner) l'autre sans jamais énoncer aucun fait s'observe en école sociale. Juger l’autre à partir d’une liste de mot, au déni de toute grammaire et de toute argumentation sérieuse, correspond aussi à une pratique quotidienne, ainsi qu’en atteste cette grille d’évaluation en vigueur au centre de La Mainguais. Ici, renouvelant quelque peu le genre qui consistait à mettre des croix dans des cases, les mots choisis doivent être simplement stabilotés... 


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