20/05/2009

« Je crois en toi »


En novembre 2008, le Secours Catholique organise ce qu’il appelle une « collecte nationale ». L’opération caritative est signalée par une grande campagne d’affiches montrant des enfants pointant du doigt le spectateur. Un slogan

« Je crois en toi », accompagne l'image.


Fendue comme une escrimeuse à la chorégraphie impeccable, une fillette, doigt tendu, vous désigne sans ambiguïté.


La fillette exécute un geste d'une réelle violence. Regarder le spectateur les yeux dans les yeux tout en le montrant du doigt, c’est littéralement le « mettre à l’index ». L’expression, héritée de pratiques pontificales visant les livres qu’elles jugeaient contraires à la morale, est restée, selon le Robert pour « signaler comme dangereux, condamner, exclure ».


Montrer quelqu’un du doigt tient de la culpabilisation, de la mise en cause. Et le geste rappelle, dans son implacable simplicité, ceux des arènes de Rome, où une simple rotation du pouce décidait du sort du supplicié.


Le geste est aussi celui, typique de l’interpellation citoyenne, comme nous le révèlent ces affiches rassemblées dans

Une histoire de la publicité, où les auteurs, Stéphane Pincas et Marc Loiseau, observent judicieusement que « le choix et l’expression des thèmes utilisés par les belligérants du premier conflit mondial témoignent d’une singulière convergence ». En effet, bien qu'ennemies, les idéologies n’en ont pas moins recours, dans une quasi universalité, aux mêmes thèmes, aux mêmes formulations.


La petite fille de l’affiche caritative sollicite du spectateur qu’elle désigne un engagement citoyen, exactement comme l’Oncle Sam de 1917, ou comme ce maréchal de 1940 :


Dans ces exemples, le personnage de l’affiche est soit un pair (le futur camarde soldat), soit un dirigeant vénérable ou emblématique (Lord Kitchener, l’Oncle Sam, le maréchal Pétain). Dans l’affiche actuelle, il s’agit d’une petite fille. Cette ré-interprétation, par l’utilisation d’un enfant (incarnant l’avenir), autrement dit un être dépendant des décisions prises par les adultes d’aujourd’hui, sollicite une autre sorte de sentiment, plus exclusivement patriotique, celui de la prise de conscience vis-à-vis des générations futures.


« Je crois en toi », si proche du « I want you » est purement et simplement extrait d’une prière catholique. Ici, le « toi » associe l’adulte, le parent, au Dieu auquel la prière est originellement destinée. Mais, réciproquement, le « toi » peut également désigner l’enfant porteur d’espérance, si convaincant dans sa manière de singer la gestuelle symbolique des adultes.


Le tendre sourire de la fillette contredit quelque peu la violence de son geste, indice qu'on n'est pas tout à fait dans une réalité, mais dans sa mise en scène ingénue. La force expressive de l’affiche se trouve augmentée par cette dissonance qui procède de l’oximoron.


La fillette est un peu comme une lolita, juchée sur les escarpins de sa maman, jouant à tester son pouvoir en germe. Son geste est un geste de jugement, donc de pouvoir. Exécuté par un enfant en direction de l'adulte, il procède d'une troublante inversion des rôles, où l'adulte peut entrevoir le spectre de son propre jugement futur.


Traditionnellement utilisé par les publicitaires pour son rôle de prescripteur, le personnage de l’enfant est censé, ici, orienter l’adulte, non dans un acte d’achat (il ne s’agit pas d’acheter quoi que ce soit, hormis peut-être de la bonne conscience), mais d’engagement, sur fond de conscience chrétienne.


La fillette de l’affiche du Secours Catholique exploite tout en la rajeunissant une symbolique des gestes qui se perpétue tout en évoluant avec son contexte historique, comme l’expression « Image d’Epinal » (aujourd’hui synonyme de lieu commun), qui témoigne elle aussi, à la fois d’une généalogie et d’une ré-interprétation permanente.


L’image de l’enfant pointant du doigt le spectateur est reprise actuellement sur le site Internet du Secours Catholique.



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