22/06/2009

La médaille









Une lecture du roman La médaille (1993), dans lequel Lydie Salvayre nous fait découvrir la culture de la fictive entreprise Bisson. (1/9)


Une cérémonie, la remise de décorations à des travailleurs méritants, voit défiler une galerie de personnages – membres de la direction, contremaître, ouvriers – plus ou moins emblématiques. Nauséabonde à souhait, l'idéologie de l'entreprise s'inspire sans complexe de la période collaborationniste.


La médaille alterne de façon originale « allocution » d’un manager et « réponse » d’un médaillé. Les allocutaires, chacun dans leur spécialité, prononcent un discours officiel, exposant par le menu les projets, les valeurs, la culture de l’entreprise, tandis que les médaillés apportent un témoignage tout empreint de gratitude sur leur vie de labeur et de souffrance. Deux types de discours : l’idéalisme des managers et le naturalisme des médaillés. La juxtaposition forme un diptyque répétitif, produisant par contraste un effet de collision. D'un côté la description enchanteresse d'un village-potemkine, de l'autre celle d'une réalité personnelle plus ou moins sordide.


La cérémonie de remise de décorations constitue un moment symbolique de reconnaissance, tel que le définit par exemple Christophe Dejours : « De la reconnaissance dépend en effet le sens de la souffrance. [...] La reconnaissance au travail, voire de l’oeuvre, le sujet peut la rapatrier ensuite dans le registre de la construction de son identité. [...] Alors le travail s’inscrit dans la dynamique de l’accomplissement de soi. » (Dejours Christophe, Souffrance en France, éd. Le Seuil, 1998)


Le rituel cérémonial bien huilé va se trouver déréglé par la progression en coulisses d’une révolte ouvrière à l’effet révélateur. Tant est si bien qu’au déchaînement des émeutiers va répondre l’emballement idéologique des dirigeants. Sur le plan narratif, le récit de la révolte, surgissant par éclats tout au long du texte, rompt l’effet de monotonie que la répétition des cycles allocution-réponse risquait d’engendrer. C’est lui qui permet au texte de faire histoire, introduisant également un suspens.


Nous ne connaissons aucune entreprise, du moins sur le territoire de France, prônant l’esclavage, l’eugénisme ou la peine de mort ; aucune qui affiche ouvertement sa nostalgie pour l’époque de la collaboration. Cependant, les thèmes de La médaille nous semblent proches et pertinents dans leur traitement. Le monde le La médaille est-il plausible, vraisemblable ?


Ecrit à peu d’années de distance (1998), Souffrance en France, décrit lui aussi la dégradation des conditions de travail, tout en se référant à des phénomènes psychologiques observés durant la période nazie. On notera, et cela vaut sans doute plus que pour l’anecdote, que les deux auteurs, s’ils usent de genres littéraires différents – le roman pour l’un, l’essai pour l’autre – exercent à la ville le même métier de psychiatre. Or, leurs deux livres se répondent étonnamment, à tel point qu’on pourrait dire que La médaille est l’illustration fictionnelle de Souffrance en France, ou que Souffrance en France fournit l’idéal matériel critique deLa médaille.


Une rencontre avec Christophe Dejours :


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