25/06/2009

« Sortons le grand jeu ! »






Une lecture du

roman de Lydie Salvayre,

La médaille (8/9)


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Décidé comme il dit à sortir le grand jeu, le « directeur de la sécurité » intervient dans l’urgence, alors que l’émeute se propage en coulisses jusqu’à produire une véritable panique à bord.


Il en vient à promulguer des règles nouvelles – les extrêmes d’une loi d’exception – touchant les libertés fondamentales de circuler et de s’exprimer, libertés déjà bien mises à mal en temps ordinaires. Elles s’accompagnent d’un durcissement de la surveillance électronique, référence à Georges Orwell. Pris de court, il s’en remet à un médaillé qui sort du lot.


Le « directeur de la sécurité » formule de vigoureuses critiques contre le gouvernement démocratique, figé selon lui dans l’attentisme et la mollesse. Son appel à l’ordre va jusqu’à la proposition de réintroduire la peine de mort. S’ensuit une description technique du meilleur moyen préconisé. Privatisation du châtiment suprême qui aurait lieu au coeur même de l’entreprise, en l’absence de tout jugement, c’est-à-dire de toute instance tierce entre le maître et les ouvriers, le maître acquérant de ce fait littéralement droit de vie et de mort sur eux.


Les émeutiers sont ramenés à la raison – celle de l’entreprise –, non par un membre de la direction mais par un ancien O.S. sorti du rang et devenu ingénieur. Paradoxalement, la paix n’est pas recouvrée au prix d’une négociation, d’un compromis, d’un progrès social quelconque, mais bien contre une aliénation supplémentaire, ultime d’ailleurs, celle de « l’embauche à vie ».


L’ingénieur Démaret, auteur de cette prouesse, est un cas particulier. Nappartenant pas par la filiation à la race des dirigeants, il doit sa position sociale à son mérite. Chouchouté, il est le seul des médaillés à bénéficier d’un hommage vraiment circonstancié, lequel nous apprend qu’il est une sorte de gauchiste repenti dont les convictions originelles chimériques ne survivent plus qu’à travers des actes charitables insignifiants et méprisants. On est tenté de l’associer à la figure historique de Goebbels, ministre nazi de la propagande, tant ses considérations anti-intellectuelles obsessionnelles rappellent le fameux

« Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver ».


Un extrait du film de Oliver Hirschbiegel La chute (2004) montrant les derniers jours du dictateur Hitler retranché avec ses derniers fidèles dans son bunker de Berlin :



L’orateur Démaret fait l’apologie de la collaboration, en référence explicite à cette période de l’Histoire qu’il s’ingénie à vouloir redorer. Dans la flagorneuse tirade qu’il adresse aux dirigeants, l’on reconnaît bien l’antiparlementarisme du « tous pourris » des années trente, prélude au fascisme :


« Car, tandis que des Néron aux petits pieds, séniles de surcroît, usurpent le pouvoir en se faisant passer pour des saints humanistes, tandis que notre pays est vendu et bradé à des aventuriers sans scrupules et corrompus jusqu’à l’os, que des politiciens véreux déversent emphatiquement leurs mensonges et leurs flagorneries et conchient le pays au nom de la patrie et de l’honneur, vous restez envers et contre tout ceux qui donnent l’exemple à la nation entière ! C’est super ! »


Un slogan improbable, clin d’oeil à Marx : « Mesdames et Messieurs, luttons pour la collaboration de classe ! » surgit en apothéose de la bouche de l'ingénieur. Epidermique, ce denier n’a plus qu’à esquisser un très convaincant salut fasciste : « Nous sommes, mes amis, liés comme les doigts de la main. (M. Démaret brandit sa main droite.) » (p. 161)


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