03/08/2009

« En cas de décès »


La France possède encore un tissu de petits hôpitaux de province qui, s’ils contribuent au maintien du lien social à l’instar des bureaux de poste, génèrent aussi des coûts considérables pour la collectivité, au point que l’existence de certains d’entre-eux est fréquemment remise en question.


Ouvrir les pages de son livret d’accueil à la publicité commerciale : c’est l’idée de l’hôpital de Châteaubriant.


Douteux mélange des genres ? En tout cas, le délicat thème de la mort y est traité différemment, entre le marchand et l'hôpital lui-même.


Le livret d’accueil de l’établissement contient quatre pages pleines de publicités commerciales, y compris la quatrième de couverture. Les pages de publicité ne sont pas seulement insérées dans le livret, elles y sont intégrées, ce, dans la mesure où elles en reprennent le graphisme (frise d'encadrement multicolore) et la pagination.


Du fait de sa place physique dans l’objet-livre, la quatrième de couverture est prépondérante. Elle le dispute, pour ainsi dire, à la première de couverture, page de titre et de présentation. C’est elle, par exemple, qui contiendra le résumé du roman, qui nous mettra l’eau à la bouche et nous décidera ou non à passer à l’acte d’achat. Le contenu de cette page bien spéciale n’en acquiert que plus d’impact. De ce point de vue (celui de l’efficacité communicationnelle), le nombre de pages de publicités commerciales contenues dans le livret d’accueil de l’hôpital de Châteaubriant peut donc être considéré comme plus important encore qu’il n’est physiquement.


Un autre aspect, concourant à cette démultiplication, est le caractère quelque peu virginal du support (un document émanant d'un hôpital, et donc connoté d'hygiénisme). Du coup, la publicité se charge d’une dimension iconoclaste, de transgression, avec ses conséquences émotionnelles fertiles dans un contexte commercial.


La rubrique « Sortie » intervient logiquement en toute fin de cahier. Elle mentionne les diverses modalités de paiement et de transport auxquelles peut avoir recours l’usager. La page est illustrée d’une photographie aérienne qu’on imagine être celle de l’établissement. Elle correspond assez bien à l’idée de départ, ou plus exactement d’envol. Envol qui indique aussi l’éloignement paisible, lequel pourrait suggérer une très pudique métaphore de la mort. En tout cas, c’est le seul choix illlustratif qui soit fait dans cette rubrique conclusive où il faut bien évoquer, d’une façon ou d’une autre, la mort du patient.


Le dernier paragraphe, long d’à peine plus de quatre lignes, est donc intitulé « En cas de décès ». Il trouve naturellement sa place dans la rubrique « Sortie », s’agissant d’une sortie les pieds devant. La tournure « en cas » indique que le décès du patient n'est pas envisagé comme le terme inéluctable de toute vie humaine (auquel cas le scripteur lui aurait préféré, par exemple

« lorsque le patient décède »), mais seulement comme une éventualité. Le caractère seulement allusif du titre, la brièveté du texte et son contenu elliptique : autant d’éléments qui concourent à une euphémisation en bonne et due forme.


La page contenant la rubrique « Sortie » est en vis-à-vis d’une des pages de publicité, immédiatement identifiable par son aspect criard. Le tout fonctionne comme un dyptique, de telle sorte à pouvoir associer la sortie vers le monde ordinaire à une (ré)immersion dans le monde marchand. S’ensuit la quatrième de couverture, elle-même entièrement garnie de publicités commerciales, si bien que la sortie se trouve dûment encadrée, comme une haie d'honneur, par des marchands aux petits soins.


L’apport publicitaire, par son clinquant tapage, participe d’autant plus à l’effacement de toute idée morbide. Comme si elle était devenue la seule à pouvoir s’en charger, c’est d’ailleurs la publicité commerciale qui offre l’imagerie la plus explicite de la mort, ce à travers l’annonce d’un entrepreneur de pompes funèbres, qui offre pas moins de trois photographies de ses installations : un lit garni de tentures et couronné d’un signe religieux, une pièce équipée d’appareils électroniques, et enfin une équipe de croque-morts posant devant leur corbillard.


La composition de cette dernière photo s’apparente à la stricte et militaire revue de matériel. Le château en arrière plan offre un élément de contexte. il est censé être emblématique de la ville. Pourquoi ne pas lui avoir préféré, par exemple, le marché aux bestiaux, également (sinon plus) emblématique ? Pourquoi pas

la carrière des fusillés, pourtant spontanément évocatrice de mort ? Plus politiquement correct, le château médiéval et ses vieilles pierres qui traversent le temps, convoque l’idée flatteuse de patrimoine, de mémoire et d'identité de carte postale.


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