25/06/2009

« Salauds de pauvres ! »





Une lecture du
roman de Lydie Salvayre,
La médaille (7/9)

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C'est par cet anathème, « Salauds de pauvres ! » que Jean Gabin conspuait la veulerie de ses contemporains dans le film La traversée de Paris de Claude Autant Lara :



Les ouvriers de la médaille ne sont aucunement solidaires. « Et puis la solidarité j’y crois pas. Dans l’atelier il n’y en a aucune. Aucune union. [...] La camaraderie ouvrière c’est du baratin » (p.

34). Ils ont des moeurs brutales, s’adonnent la violence conjugale, persécutent les femmes et les intellectuels.


Ce faisant, ils ne font que mettre en pratique l’idéologie sexiste et poujadiste serinée par leurs patrons. La brutalité des rapport familiaux, l’absence de conscience politique : déréliction qui peut trouver un apaisement auprès d’un animal de compagnie. Ainsi de Melle Pizzuto évoquant son chien Siki :


« Je lui parle comme a un être humain et il me comprend comme un être humain. Il se comporte en tout et pour tout comme un véritable être humain. [...] On dirait un enfant. [...] Il mange exactement comme moi. Il me revient cher peut-être, mais quand on aime on ne regarde pas. Du moment que j’arrive àjoindre les deux bouts. »


La même Melle Pizzuto s’adressant à son père qui raille la

relation : « Moi, quand on touche à Siki, je me contrôle plus. Je lui ai répondu recta que si aimer son chien c’était être dénaturé, alors c’est que la terre entière est peuplée de dénaturés, pauvre con ! » L’amour compensatoire pour un chien, thème que l’on retrouve chez un Michel Houelleebecq, autre explorateur de l’état des relations humaines. Dans cet de La possibilité d’une île (p. 388), éd. Fayard, 2005), le personnage Daniel vient de trouver son chien volontairement écrasé par des ouvriers hostiles et brutaux, de la même engeance que ceux de La médaille :


« Je retirai mon ciré pour l’envelopper et rentrai chez moi le dos courbé, le visage ruisselant de larmes, détournant les yeux pour de pas croiser le regard des ouvriers qui s’arrêtaient sur mon passage, un sourire mauvais aux lèvres. [...] Je ne sais pas pourquoi mais quelque chose céda en moi cette nuit-là, comme une ultime barrière de protection qui n’avait pas cédé lors du départ d’Esther, ni de la mort d’Isabelle. »


Décliné au cinéma par Michel Houellebecq lui-même, la bande annonce du film La possibilité d'une île :



D'autres portraits : l’ouvrier intellectuel, souffre-douleur de ses camardes, admiré secrètement par Melle Pizzuto, elle-même harcelée sexuellement ou Auguste qui, ayant réussi à s’arracher à l’emprise de l’usine, y revient, attestant du caractère fatidique et inéluctable de sa condition.


Alors qu’ils auraient toutes les raisons d’en vouloir à l’entreprise – conditions de travail inhumaines, maladies et infirmités professionnelles, mort violente, etc. – les médaillés témoignent au contraire une gratitude bredouillante et soumise. Aliénation qui ne nous les rend guère sympathiques. Quant aux émeutiers, leur action, bien que violente, s’apparente à un chahut, un carnaval. Il s’agit d’une espèce de débordement potache évoluant vers un jusqu'au-boutisme comparable à ce qu’on a pu observer dans l’actualité sociale avec par exemple l’affaire Sélatex. Aucune revendication sérieuse, pas d’opposition rationnelle, de discours construit. Les phrases lancées tiennent de la moquerie, de l’invective, de la dérision. La révolte est pourtant fertile, en tant qu’elle fait s’exacerber le discours des managers. Ainsi, Lydie Salvayre nous donne à considérer le pouvoir subversif de la dérision.


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