25/06/2009

Piqûre de rappel






Une lecture du
roman de Lydie Salvayre,
La médaille (9/9)

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Avec La médaille, Lydie Salvayre transpose l’idéologie nazie au monde actuel du travail. Egarement douteux ou salutaire exercice de mémoire?


Le nazisme et les camps de la mort ont alimenté une inestimable littérature de témoignage, dont Si c’est un homme de Pimo Levi, C’est en hiver que les jours rallongent de Joseph Bialot, Au nom de tous les miens de Martin Gray. Outre les témoins directs, les cinéastes documentaires Alain Resnais – Nuit et brouillard –, Frédéric Rossif – De Nuremberg à Nuremberg –, Claude Lanzmann et les neuf heures lancinantes de Shoah. Du côté de la fiction : le feuilleton télévisé Holocauste, La liste de Schindler de Steven Spielberg, ou le polémique Amen de Costa Gavras dénonçant la complaisance des autorités catholiques de l’époque face aux crimes de la solution finale :



Lorsque parut La mort est mon métier (1953), racontant les mémoires fictives du commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, son auteur, Robert Merle, fut vigoureusement critiqué, notamment par Jean Cayrol, ancien déporté qui voyait dans l’oeuvre une tentative malséante de « donner un corps romanesque à ce qui n’était qu’un monstre impossible à décrire ». Compte tenu de l’extrême spécificité de l’événement, décrit par Primo Levi comme

« un phénomène unique dans l’histoire pourtant sanglante de l’humanité », Claude Lanzmann, l’auteur de Shoah, voit dans tout exercice de fiction sur l’holocauste rien de moins qu’« un crime moral ». Controverse réactivée par la parution du monumental (900 pages) Les bienveillantes de l’américain Jonathan Littel, prix Goncourt 2007 racontant par le menu les mémoires d’un SS d’imagination.


Re-parcourant Auschwitz en 1965, Primo Levi déplorait :

« Les baraques ont été nettoyées et repeintes. On a planté des arbres et dessiné des plates-bandes. » Il constatait que « le camp tout entier [ lui faisait ] l’effet d’un musée ». Or, le danger est immense de figer le nazisme en monument historique, comme un événement révolu. L’oubli, le déni, guettent, en témoigne par exemple la conférence révisionniste organisée par l’inquiétant président iranien Ahmadinejad. Toujours selon Primo Levi : « Nous voudrions faire observer à quel point le Lager a été, aussi et à bien des égards, une gigantesque expérience biologique et sociale. »


Stanley Milgram, en épilogue à son livre sur la soumission à l'autorité, observe bien que : « Le dilemme résultant du conflit entre la conscience et l'autorité est inhérent à la nature de la société et se poserait à nous même si le nazisme n'avait jamais existé. Réduire un problème [ celui de la soumission à l’autorité ayant permis les crimes nazis ] aussi général à la seule dimension d’un événement historique, c’est se donner l’illusion qu’il appartient à une époque révolue ».


C’est bien le propos de La médaille, de mettre en perspective l’épouvantable « expérience biologique et sociale », univers plus proche de nous, de nos comportements, que nous ne voudrions le voir. De la même façon que Nicolas Klotz dans son film La question humaine, mettant en scène le personnage d'un psychologue repenti, établit des rapprochements entre l’élimination des juifs et autres « races inférieures » et la cruauté des méthodes actuelles de management, le docteur Salvayre nous fait ainsi une piqûre de rappel.


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