24/06/2009

Pigmentaire





Une lecture du
roman de Lydie Salvayre,
La médaille (5/9)


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Comme tous ses collègues – à l’exception notable de l’ingénieur –, Marcel Duchêne reçoit un hommage convenu, rapide, démagogique et méprisant. Le « bref panégyrique » composé sous l’égide de la « directrice de l’action sociale » :


« Toujours prêt à porter secours et à rendre service à sa famille ainsi qu’à la communauté toute entière, Marcel Duchêne fut donneur de sang bénévole, puis breveté de secourisme et de protection civile. [...] Marcel Duchêne exerçait depuis vingt cinq ans l’activité d’ébarbeur. Nous savons tous ici ce que ce noble métier peut avoir d’ingrat. En effet, les particules noires qui résultent de l’ébarbage, jointes aux produits de lubrification, confèrent aux téguments une teinte noirâtre qui s’avère à la longue indélébile. Mais Marcel Duchêne, animé par l’amour du travail, ne se préoccupait point de ses détails périphériques. Il savait distinguer l’essentiel de l’accessoire et comprenait parfaitement que son intérêt passait avant sa beauté. Qu’importe la noirceur du visage lorsque le coeur est pur ! Les insinuations artificieuses des syndicats révolutionnaires qui prétendent que Marcel Duchêne a attenté à ses jours dans un mouvement de désespoir [...] sont une insulte à sa mémoire. »


On note le déséquilibre entre l’emphase grossière du compliment et le caractère modeste des actions. Ici, le comique tient beaucoup à l’insolite de la situation. Généralement, c’est plutôt la pâleur qui est associée à unétat maladif, tandis que le bronzage est signe de bonne forme. Or, Marcel Duchêne ne pâlit pas, il se pigmente. L’inexorable coloration n’est pas seulement chimique ou mécanique, elle est mimétique. Ainsi que le déclare Auguste, un de ses collègues récompensés :


« Pas une embrouille. Jamais un mot plus haut que l’autre. [...] Je fais mon travail, point à la ligne. Avec mes chefs, je me la boucle. [...] Le tout à l’usine, c’est de ne pas être repéré. de se confondre avec les murs. Gris de coeur et gris de peau. [...] Je n’ai jamais participé à une grève. »


Marcel, lui, a dépassé la stade du gris, pour atteindre celui du noir. Sa conscience professionnelle est allée jusqu’à une véritable transformation physique, autant dire une métamorphose. Mais, sa conduite exemplaire lui valant une médaille, elle le fait paradoxalement ressembler à un « nègre », un de ces sous-hommes honnis par les dirigeants. Plus il travaille et plus il ressemble à « l’ouvrier coloré » décrit plus loin comme inéducable et inapte au travail, « semblable à l’étron, tant par sa forme que par sa couleur ». Son investissement au travail, au lieu de le transcender, lui vaut une transformation infamante. Double contrainte qui le mène au suicide.


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A suivre.


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