20/05/2009

Gestes et postures


Extraite du livret d'accueil du centre psychiatrique de La Mainguais, une photo montrant deux personnages séparés par un bureau. Apparemment banale, elle obéit pourtant à des codes précis, rigoureusement mis en évidence par le photographe Edouard Levé.


Deux pages de livret d'accueil. La page de droite montre une vue aérienne du centre psychiatrique, accompagnée d’une légende strictement factuelle. Celle de gauche, qui nous intéresse ici, comporte un texte de présentation générale décrivant les différentes étapes d’accueil du patient dans les lieux et une petite photo.


La photo montre deux personnages, un homme, une femme, se faisant face, séparés par un bureau d’aspect fonctionnel. Installé sur un fauteuil à haut dossier, l’homme, mains jointes, a les avant-bras posés sur le bureau dont il est visiblement l’occupant attitré. Sa chemise se fond avec le fauteuil, en une seule et même masse noire, couronnée en arrière plan d’une plante verte. Il regarde avec une expression bienveillante quelque peu passe-partout la femme en face de lui. Il est nettement identifiable, tandis que la femme ne l’est pas. Le seul élément, d’ailleurs, qui nous permette de l’identifier, sans certitude, comme étant une femme, est une écharpe blanche quadrillée d’un mince filet bleu marine soigneusement jeté sur son épaule. Une case à courrier garnie, ainsi que divers accessoires de bureau, complètent le décor.



Les deux personnages de la photo, un psychologue, Christian Stéphan, et une infirmière, Martine Quémener, sont en réalité des cadres de l’établissement.


Le psychologue joue sont propre rôle, du moins est-il pris dans son cadre habituel de travail. Mais, ni lui ni l’infirmière, ne sont des patients accueillis, comme nous invite à le penser le texte d'accompagnement. Ils se prêtent donc à une mise en scène. Du coup, cette photo peut-elle être qualifiée de mensongère ?


On peut au moins dire, dans un premier temps, qu’elle s’inscrit bien dans le dispositif de disparition des patients déjà repéré avec la photo censée représenter l’atelier thérapeutique de menuiserie du même centre de La Mainguais. Caractéristique que l'on retrouve encore dans celle montrant l'atelier thérapeutique de couture.


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L'écrivain photographe Edouard Levé, dans son étonnante série Reconstitutions, a fait rejouer à des acteurs des situations préexistantes observées sur des centaines d’images de quotidiens de plusieurs pays : une inauguration, une déclaration à la presse, une visite présidentielle, etc.


Au nom d’un principe de neutralisation, il a supprimé de ces images de presse tous les éléments de décor superflus. Les personnages eux-mêmes étant inexpressifs, il ne reste plus, selon le photographe, que « des gestes et des postures », des « scènes énigmatiques » promptes à glisser vers l’étrange, des images chorégraphiques et génériques.


Or, voilà bien ce que jouent nos personnages figurant sur la photo du livret d’accueil : une scène générique. Comme celle-ci, titrée

« L'accord », leur photo pourrait s'intituler tout bonnement

« L'accueil ».



Une introduction au travail photographique d'Edouard Levé :




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