20/08/2009

« Une remarquable intensité »


24 juin 2009 : deux jeunes étudiants en graphisme décrochent un prix décerné par le magazine Paris-Match, pour la promotion du photojournalisme. Comme il s’en expliqueront, leur reportage sur la précarité étudiante n’est rien d’autre qu’une supercherie destinée à « éduquer le regard » de leurs concitoyens.


Lieu d’éducation s’il en est, le centre psychiatrique de La Mainguais utilise pourtant les mêmes procédés de mise en scène que ceux pointés du doigt par les lauréats.


Guillaume Chauvin et Rémi Hubert sont deux jeunes étudiants de l’université de Strasbourg où Ils ont obtenu, à respectivement 22 et 23 ans, un diplôme de graphisme. « Passionnés par l’image », il portent un regard critique sur le photojournalisme actuel qui ne montre, selon eux que des images complaisantes, dépourvues d’engagement, ne propose qu’une vision rassurante où « l’homme exotique » est traité comme un inférieur. A partir de ce constat, et voulant provoquer le débat sur l’objectivité des images, ils se lancent dans l’élaboration d’un reportage sur un sujet qui les touche de près : les petits boulots, combines et autres expédients qui font le quotidien de la précarité étudiante.


Mais le projet de reportage est un faux reportage, puisque toutes les scènes photographiées sont en fait des mises en scène impliquant des acteurs, et non des tranches de vie réelle, comme ils le laisseront croire.


Traitées dans un noir et blanc dramatisant, mais pas forcément misérabiliste, les photos sont accompagnées d’une légende donnant la parole, sous forme de chronique aux faux personnages des fausses histoires. « Pour pouvoir étudier le soir, je me sers de mon cul la nuit » confesse Emma, faisant croire qu’elle se prostitue pour s’en sortir, pendant qu’Armin, grattant un fond de poubelle, déclare « je fais les fins de marché et j’en donne à des potes chez qui je peux aller cuisiner ». Chaque pseudo-témoignage est conclu du pedigree de l’étudiant, dont le « master en sciences du sport » ou le « master en philosophie » dénote avec la précarité de sa situation. Efficace, dans son emploi des codes (le lettrage façon polar de vieille machine à écrire, le floutage bidon censé masquer la réalité des visages, les poses pudiques privilégiant la suggestion sur l'ostentation), le dispositif fera dire au directeur de Match qu’il est d’une « remarquable intensité ».




Le 24 juin 2009, les deux étudiants conviés à la remise des prix dans le prestigieux cadre de la Sorbonne écoutent le discours du directeur de la rédaction de Paris-Match. Eux qui ne pensaient pas gagner, comprennent que c’est leur reportage qui est choisi... Ayant préparé un discours, ils avoueront alors leur supercherie, expliquant qu’elle n’a d’autre motivation que de provoquer un débat sur les médias et sur l’image. Leur dotation de 5000 euros leur sera finalement retirée. Il s'ensuivra une intense polémique, comme la photographie sait en générer.


Alain Willaume, leur professeur qui les a toujours soutenu, voit dans leur démarche audacieuse « une attaque maligne au coeur-même de la société du spectacle, contre une des incarnations du pouvoir médiatico-politique inféodé aux sphères capitalistes qui gèrent l’endormissement des consciences ». Evidemment, on n’est pas obligé d’adhérer à ce morceau d’idéologie. Mais la démarche des étudiants, visant à éduquer le sens critique sur les images, devrait bien nous servir de leçon. Car les procédés de manipulation sur les images, leur mise en scène, l’utilisation d’acteurs en lieu et place de personnages présentés comme véridiques, ne touchent par seulement la presse d’actualité.


Match et son jury aguerri ont sélectionné les images les plus « gratinées » de la série étudiante, favorisant un certain sensationnalisme. Une attitude qui en dit sans doute déjà long quant à leur conception de l'information. Si des professionnels de la pointure de Paris-Match se font avoir par les images mensongères de deux jeunes étudiants qui ne sont même pas photographes, quelle peut être la réaction des malades mentaux et de leurs familles, face aux photos mises en scène du livret d’accueil du centre psychiatrique de La Mainguais ? Composées en référence à des images d'Epinal, et excluant pour ainsi dire les patients eux-mêmes, elles n'offrent que des représentations stéréotypées, bien différentes du travail de Jean-Louis Courtinat, ou celui d'Olivia Gay. Ce faisant, elles satisfont au critère de complaisance dénoncé par les jeunes imposteurs.


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