08/08/2009

Visages brouillés




Extraite d'une brochure commerciale, une photo, en page d'introduction, montrant trois personnage accoudés à un comptoir de magasin.

Une mise en scène dont les codes correspondent étrangement à ceux observés dans le livret d'accueil d'un centre psychiatrique.


Au premier plan, un personnage vêtu d'un gilet qui pourrait être un uniforme. Sa main gauche appuie sur le clavier de l'ordinateur dont il regarde l'écran, tandis que sa main droite tient le combiné téléphonique qu'il presse à son oreille. Séparés par un comptoir auquel ils sont accoudés, deux autres personnages, un homme et une femme, paraissent regarder en direction de l'homme au gilet rouge. Pourquoiparaissent ? Parce que leurs visages, ainsi que celui du téléphoniste sont curieusement floutés. En fait, il s'agit d'un trucage imitant plus exactement un flou de bougé, comme si la photo avait été prise à une vitesse lente tandis qu'ils remuaient la tête.

Un tel flou sur son visage pourrait s'admettre, compte tenu des activités multiples déployées simultanément par le vendeur (répondre au téléphone, consulter un écran informatique, accueillir la clientèle, ouf !). La sur-activité d'homme-orchestre qu'il affiche correspond d'ailleurs favorablement à une idéologie de la performance, prévalant sur d'antiques principes de politesse (ne pas parler à quelqu'un au téléphone en même temps qu'on fait attendre le client, par exemple).

Le même flou de bougé masquant les clients correspond-il à des hochements de tête convulsifs ? Ou s'agit-il, plus vraisemblablement d'une intention éditoriale d'anonymisation ? S'il s'agit bien de cela, les clients de ce loueur de matériel subissent alors le même traitement de disparition que les patients d'un centre psychiatrique. Ceux qui jouent ce rôle des clients sont en fait des employés du magasin : encore un point commun avec le centre psychiatrique, où des personnels soignants se mettent en avant, laissant les patients dans l'ombre, quand ils ne jouent pas eux-mêmes le rôle de patients.

La notion d'anonymat est quelque peu contredite par l'apparition d'un prénom (celui de la personne à contacter) dont l'usage indique généralement, par la suppression des marques de civilités usuelles (Madame, Monsieur), un certain niveau de familiarité, voire d'affectivité, et donc de personnalisation de la relation.

Toujours est-il que les personnages de cette photo à vocation commerciale disparaissent en tant qu'individus identifiables pour l'état civil, ne laissant d'eux que des silhouettes. Leur disparition en tant qu'individus permet de souligner leur apparition (mot qui permet aussi de traduire leur état fantomatique) en tant qu'acteur, comme dans un processus d'épuration. Ce qui doit prévaloir sur les personnes, c'est la scène commerciale dans laquelle ils ne sont que des figurants interchangeables.

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