22/07/2009

Emploi fictif


Evoquée par le journal La lettre à Lulu, la lettre recommandée par laquelle François Le Floch, nouveau directeur de l'ADAH de Carquefou (également directeur du centre psychiatrique Les Briords), me met à la porte de l'établissement où je travaille depuis près de cinq ans.

Est-ce parce qu'il est quelque peu dépourvu de charisme
personnel ? Toujours est-il qu'à peine intronisé dans ses fonctions de directeur administratif, le nouveau maître de l'ADAH ne voit rien de plus pressant que de s'en prendre au salarié le plus précaire de l'établissement, autrement dit le plus faible. Il n'y a pas de petits trophées.

Ma liquidation doit lui sembler si urgente et si impérative, qu'il ne prend même pas le temps de me rencontrer au moins une fois, ne serait-ce que par politesse.

Et donc, malgré mon 15/20 et mes très bonnes appréciations, malgré mes multiples CDD constamment renouvelés, et surtout sans jamais m'avoir convoqué une seule fois ou adressé le moindre courrier préliminaire ( ! ), l'homme me commande de rester dorénavant chez moi... tout en continuant de percevoir mon salaire.

Il prend soin d'envoyer sa lettre recommandée alors que je savourais la seule petite semaine de congés qui m'étaient alloués depuis longtemps, n'ayant pas, pour une fois, à remplacer au pied levé l'un de mes cinq collègues moniteurs.

Au fait, pourquoi s'ingénie-t-il, dans sa lettre, à répéter pesamment les termes de son injonction, comme une espèce de bégaiement ? Justement parce qu'ils dépassent l'entendement ? Pourquoi écrire en gras souligné ? Pourquoi une telle surcharge de signes ?

A une heure de très grande crise économique, où l'on s'émeut à raison de l'attribution de parachutes dorés, retraites-chapeaux, indemnités somptuaires scandaleuses, la transformation unilatérale d'un emploi (aidé) classique en ce qu'il faut bien appeler un emploi fictif aurait dû faire grincer des dents. Mais non, aucun délégué du personnel n'a bronché.

Le cégétiste Patrice Chapeau, si prompt par ailleurs à exprimer
son « étonnement et mécontentement » face aux dépenses réelles ou fantasmées d’un établissement lourdement surendetté, n’a même pas donné signe de vie. Un silence qui indiquerait qu'il ne trouve rien à redire à l'emploi fictif ?

Par son audacieuse interprétation du sarkosiste « Travailler plus pour gagner plus » en « Ne plus travailler du tout pour gagner autant », François Le Floch réalise le fantasme de la plupart des gens : toucher un salaire tout en restant tranquillement chez soi.

Du coup, peut-on dire qu'il s'agit d'une punition ou d'une gratification ? « Dispense d’activité rémunérée » : la formulation politiquement correcte et savamment technocratique ne fait qu'ajouter à cette confusion. L'air de pas y toucher, elle ne désigne pourtant pas autre chose que le chômage, les quelques millions de personnes de ce pays qui y sont exposées ne vivant pas autre chose qu’une « dispense d’activité rémunérée ».

La formulation appelle irrésistiblement un de ces sigles ou acronymes (« DAR » ? ) dont la langue sociale est particulièrement friande (lesquels ne font d'ailleurs qu'accroître sa capacité de brouillage), et qui infestent jusqu'aux paisibles berges des rivières.

Or, les heureux bénéficiaires de « DAR » n’auront plus qu’à y rejoindre le petit peuple des chômeurs, retraités, syndicalistes caractériels, contemplatifs séditieux, et autres salariés précaires à
l’« attitude professionnelle » par trop déviante, pour qui la pêche à la ligne reste l'activité par excellence. Qu'ils se concentrent sur leur bouchon, et oublient un peu de fantasmer sur la PEP (« Perspective d’Emploi Permanent »).

Après tout, tâter le goujon rend philosophe, et il est peut-être dans l'ordre des choses qu'un directeur de centre psychiatrique, imposant à l'un de ses salariés de rester chez lui tout en percevant son salaire, lui permette ainsi de vivre une situation schizophrène véritable.

On ne s'étonnera de rien, puisqu'avant lui un autre directeur administratif de l'ADAH s'était bien aventuré à diagnostiquer l'état mental d'un syndicaliste qui le gênait.

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