25/06/2009

« Auschwitz mon loulou »






Une lecture du

roman de Lydie Salvayre,

La médaille (2/9)


précédent.



Aux allures d’oxymoron, la formule « Auschwitz mon loulou » est de Pierre Desproges qui entendait ainsi épingler la romancière Marguerite Duras et son « Hiroshima mon amour ».


Véritable lieu de cauchemar, l'entreprise est pourtant décrite par Lydie Salvayre sur un ton guilleret.


Mobilier fixé au sol, visites réglementées, sexualité (solitaire) dûment rationnalisée : la description est bien celle d’une prison. Or, celle-ci est présentée sur un ton enthousiaste, comme s’il s’gissait d’un lieu de vie épanouissant, d’un familistère coquet : « Un foyer de huit cent places vient d’être construit. Les chambres présentent tout le confort. Leur superficie est de six mètres carrés. L’air est conditionné. Inutile d’ouvrir les fenêtres. Le mobilier, fixé au sol pour ne pas être emporté, a été dessiné par un décorateur de renom (p. 13). »


Les personnages de La médaille, notamment les managers, emploient cette langue mosaïste, dans laquelle stéréotypes, envolées lyriques prétentieuses, sont télescopés de phrases courtes, décalées, de détails saugrenus. Leurs déclarations à l’humanisme claironnant voisinent avec les évocations sordides. Les projets les plus terrifiants prennent une enveloppe bienveillante. pluri-vocalisme où l’ampoulé le dispute au familier, le grave au grotesque, au point d’atteindre parfois l’auto-parodie. Il s’ensuit une impression de désordre comique, de perte d'échelle et donc de sens, mais surtout de paradoxe permanent. Bref, on y perd son latin. C’est qu’en fait on est immergé dans un discours paradoxal, communication perverse dont le principe de base est bien d’énoncer une chose et son contraire, afin de vous plonger dans la plus délétère confusion.


La satire vise des personnages emblématiques, tel le directeur de la communication qui émaille son discours de petites phrases en Anglais, coquetterie grotesque rappelant les errances linguistiques d'un Jean-Pierre Raffarin :



Des slogans en gros caractère surgissent ça et là, produisant un effet graphique puissant. Même procédé typographique, même communication perverse – ici fonctionnant sur un principe de retournement paradoxal – que dans 1984, de Georges Orwell, et son fameux slogan :


« La guerre c’est la paix. La liberté c’est l’esclavage. L’ignorance c’est la force. »


Même procédé typographique encore dans la littérature cégétiste d'aujourd'hui.


« D’aucuns nous objectent que l’excès de travail peut conduire à la mort les sujets déficients. C’est possible. Mais je vous rassure tout de suite. Les places laissées vacantes par les personnes décédées sont instantanément reprises. » Tôt dans le texte (p. 19) apparaît cette déclaration qui rappelle bien la logique exterminatrice des camps de la mort. Des mots particulièrement connotés – « saboteurs,

parasites » –, l’obsession anti-communiste (p. 25), la censure du

jazz : autant d’éléments qui confirment, chemin faisant, la référence à la période de l'occupation.


On ne peut certes pas traiter le nazisme comme un thème littéraire ordinaire. S’il est nécessaire de remémorer constamment cet événement historique, il est d’autant plus nécessaire d’y mettre les formes. Un danger : celui de la malséance, du scabreux, du très mauvais goût. Controversé, bien que récompensé à Cannes, le film de Roberto Bénigni, La vie est belle (1998), joue sur ce fil de rasoir, de traiter sur un mode résolument comique le thème de la déportation :



Quant au désopilant Mon führer de Dani Levy, il réussit le tour de force de nous faire rire d'Adolf Hitler :



Inconcevable mélange des genres ? Et pourtant : la résistante Germaine Tillion, avait bel et bien composé une opérette,

Le Verfügbar aux enfers, avec ses camarades de déportation au camp de Ravensbrück.

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