20/08/2009

La raison du plus faible


La raison du plus faible, livre de photographies sur les pensionnaires d'un « foyer de vie », offre un regard humaniste sur le handicap, loin des représentations papier glacé du livret d'accueil du centre de post-cure psychiatrique de La Mainguais.

Pendant un an, le photographe Jean-Louis Courtinat a vécu parmi la soixantaine de malades mentaux adultes qui peuplent le foyer de Faugeras, en Corrèze. Décrivant son travail comme « un engagement », Il a fait de ses rencontres un livre singulier montrant en noir et blanc la vie quotidienne des hommes et femmes hébergés, leurs occupations, leurs joies, leurs peines, leurs bisbilles et leurs moments de tendresse. Les photographies de Jean-Louis Courtinat sont des portraits. De fait, elles montrent des visages, des corps, des expressions personnelles. Toutes ont une légende indiquant les prénoms et décrivant brièvement la scène.

Comme le dit le président Chirac, dans sa préface dont il honore le livre, c'est « un ouvrage remarquable qui brise les murs de l’indifférence et fait reculer les frontières de l’ignorance ». Parce qu’il montre la réalité, « La raison du plus faible contribue à changer le regard que notre société porte sur le handicap ».

Celle-ci nous montre trois personnes, l'une occupée à repasser, regardant par une fenêtre ouverte deux compères en train de se chamailler. La scène est joyeuse et bon enfant, comme en témoignent les sourires, la grimace un peu théâtrale de celui à qui on tire l'oreille. Or, c'est bien l'attitude des personnages qui retient l'attention, leur complicité, leur façon d'être ensemble. On ne distingue d'ailleurs pas le visage de la repasseuse, mais on voit bien comme elle sourit en direction des autres. Son travail est loin d'accaparer la scène. Comme dans toutes les autres photos, les personnes en sont le coeur, puisqu'il s'agit de les portraiturer elles, et non pas leur établissement ou leur activité.

Cette manière humaniste de montrer l'homme dans son décor s'apparente à celle d'Olivia Gay, dont les photos de femmes au travail mettent l'accent sur des expressions, des attitudes, leurs activités n'étant plus au fond qu'un décor, où elles s'ennuient souvent.

Cette autre photo, extraite du livret d'accueil du centre de post-cure psychiatrique de La Mainguais, est donc également prise dans un centre médico-social. De plus, elle se compose d'éléments très comparables : trois personnes, une activité de repassage. Les trois personnes, qui ne communiquent pas entre elles (différence notable avec la première photo) portent des blouses uniformes et reproduisent des gestes stéréotypés, dans une salle à l'ambiance clinique, que l'absence de fenêtre (autre différence) rend d'autant plus lugubre. La seule d'entre-elles à être identifiable est la monitrice Josiane au sourire ravi. Placée en avant, comme dans la photo illustrant l'atelier de menuiserie, elle monopolise l'attention, les autres n'étant plus traitées, même pas comme de simples figurants, mais comme des silhouettes. Neutralisation de leur présence renforcée du fait que l'une a le visage flouté et l'autre tourne la tête vers le mur, ce d'ailleurs alors que la première image démontre qu'il est possible de saisir l'expression d'un visage sans le montrer obligatoirement. Le critère d'anonymisation des patients attribuable aux photos institutionnelles de La Mainguais se double-il d'un critère de non-expressivité ?

Deux manières bien différentes de traiter finalement un même sujet. L'une fait véritablement le portrait d'hommes et de femmes, évoluant dans un décor dont les activités proposées (repassage, équitation) n'apparaissent qu'au second plan quand elles apparaissent. Or, s'agissant de portrait, l'autre ne fait guère que celui de l'établissement et ses ateliers, occultant radicalement ceux qui y vivent. Que dit une telle communication par l'image des pratiques, des conceptions, en un mot du « projet de soin » de l'établissement qui la met en oeuvre ? En tout cas, pour ce qui est des chamailleries, le dispositif dit de « caisse solidarité » entend plutôt les contenir que les photographier.


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