31/07/2009

Mise au point


La lettre que j'adresse aux directeurs de l'ADAH. Cette version transcrit



le 3 juin 2009


  1. François Le Floch, directeur administratif
  2. Daniel Le Ster, directeur médical

Centre de postcure psychiatrique de La Mainguais

2, mail de La Mainguais

44476 Carquefou


L.R.A.R.


Messieurs,

En réponse à mes courriers respectifs du 14 avril 2009 vous demandant des éclaircissements sur ma brusque mise à l’écart de votre établissement, vous m’adressez une lettre commune.

Je ne doute pas de l’intensité de vos échanges et concertations ayant précédé mon éviction, bien qu’ils se soient déroulés en contradiction avec l’impérieux « On ne parle pas de quelqu’un en son absence » du docteur Le Ster.

J’observe aussi que le procédé d’écriture à quatre mains vous permet de vous déresponsabiliser mutuellement, et de ne pas répondre aux questions embarrassantes que je vous posais.

Comme au plus vil de certaines fermetures d’usines, vous ne faites donc aucun cas des années de travail que j’ai effectuées, répondant toujours au pied levé à toutes les demandes de remplacement. (Ah, cette épidémie de gastro., comme j’étais providentiel à l’époque...) Surtout, vous méprisez mes milliers d’heures d’accompagnement auprès de patients à la pathologie souvent éprouvante.

Etiez-vous seulement capables de discerner ma capacité d’empathie et mon attachement pour les autres ? Mais ses valeurs ont-elles un sens à vos yeux ?

Vous me mettez face à une décision arbitraire, prise sans le moindre entretien préalable, adressée sans plus de civilité alors que j’étais en vacances. Vous me faites disparaître avec un pourboire, comme vous faites disparaître ces malheureux patients, du jour au lendemain, laissant derrière eux des cartons grossièrement identifiés au marqueur, quand ce ne sont pas des sacs-poubelles.

Que diriez-vous si l’on traitait vos enfants ainsi ?

Ce que vous appelez en technocrates une « dispense d’activité rémunérée » n’est, au fond, rien d’autre qu’une situation schizophrène.

Vous dites « dénoncer » mon vocabulaire et mettez en lien votre décision avec des propos soi-disant «inacceptables » tenus sur le site Internet http://chroniquesociale.blogspot.com/, qui mettraient selon vous « en cause » mes collègues de travail Christian Stéphan et Patrice Chapeau.

Les termes que j’emploie sont parfaitement adaptés à vos méthodes, tandis que les vôtres souffrent toujours d’imprécision. L’évocation d’une « attitude », la mention évasive de « propos » qu’on ne détaille nulle part, ça n’a rien à voir avec l’énoncé rigoureux de faits tel qu’il puisse en être débattu contradictoirement.

Le seul fait émaillant votre lettre, c’est celui du prince. Un prince à la logique obscure : en quoi, en effet, ma mise à la porte rendrait-elle ces mystérieux « propos » plus « acceptables » ?

Si vous êtes à ce point attentifs au « vocabulaire » et à la « mise en cause » de vos collaborateurs, je vous invite à relire la lettre de l’IFRAMES, co-signée par Christian Stéphan, stoppant net ma formation à seulement quelques mois de la fin d’un cycle de trois ans.

Volte-face très politique, d’un psychologue oublieux de ses appréciations (« Ses relations avec ses collègues sont courtoises ») et de son 15/20. Psychologue facilement impressionné par le décorum de l’IFRAMES, et agissant peut-être dans la logique de refus par le C.E. d’un stage au coût totalement inventé de 4000 €... ( Le stage tactiquement refusé, la formation était déjà virtuellement morte.)

Votre lettre, qui n’en est par endroit que la paraphrase, vient minablement corréler ce véritable arrêt de mort professionnel édicté par l’IFRAMES en des termes abscons, péremptoires et stigmatisants. On est loin, pour le coup, de la simple « mise en cause ».

Procédez-vous de cette manière grégaire et corporatiste lorsqu’il s’agit d’élaborer vos diagnostics ?

chroniquesociale.blogspot.com n’a d’autre ambition que de favoriser l’émergence de la parole, dans un milieu éducatif dont c’est l’outil essentiel, et aussi de proposer des clefs de compréhension d’une langue sociale par trop souvent arrogante et jargonneuse. Les personnes citées ont toujours été informées de l’existence du site. Pourquoi, si elles s’estimaient « mises en causes » ne se sont-elles pas tout simplement tournées vers moi, pour examiner ensemble les éventuels malentendus, et pour l’enrichir de leur contribution ? Le regard que vous y portez (sans évidemment l’avoir lu) n’est qu’un nouvel indice de votre mépris.

En m’écartant physiquement, c’est vous qui compromettiez d’autant plus les possibilités de dialogue.

Naturellement, les personnes citées ont toujours tout loisir de s’exprimer sur le site, y compris sous la forme légale d’un droit de réponse, que je m’engage à publier conformément à la loi sur la liberté d’expression.

On peut s’étonner, au passage, d’un tel manque de communication chez des personnes qui font profession de la parole (psychologue, éducateur). Sachant, par ailleurs, qu’elles se piquent de lutte sociale et de politique municipale, comment peuvent-elles être à ce point désorientées par un simple exercice de démocratie directe ?

N’est-on plus capable de dissocier le débat intellectuel du travail quotidien en équipe ?

Dans le contexte actuel de récession économique et de très grande peur sociale, où nombre de patrons font des cauchemars de séquestration, où un leader national va jusqu’à parler de « risque révolutionnaire », comment qualifier le chorus de responsables d’un centre psychiatrique pour protéger leur « délégué syndical » outrageusement interpellé par un travailleur précaire : perte de repères ? déni de réalité ?

Une attitude quelque peu anachronique, en somme, qui confirme, s’il en était besoin, mes analyses des textes du cégétiste Patrice Chapeau. Leur violence factice et leur véhémence de carton-pâte ne vous sont en rien « inacceptables », assurant pour le mieux une fonction cathartique nécessaire à votre pouvoir.

A vos yeux, un salarié titulaire jouirait-il d’une liberté d’expression plus grande qu’un salarié précaire ?

Oh, j’ai bien vu que les quelques suggestions et remarques que j’ai pu faire sur le fonctionnement de l’atelier ont été vécues comme une ingérence intolérable d’un sous-fifre dans un groupe constitué de longue date.

Mes préconisations, basées sur mon expérience d’artisan, mon ouverture à d’autres cultures professionnelles, ou le simple bon sens, se sont heurtées à des réactions narcissiques et agressives, à des résistances épidermiques au moindre changement (impossible, par exemple, de déplacer un meuble inutile de quelques mètres). Très paradoxalement, au lieu d’être reçues positivement, comme la marque de mon implication fervente, elles m’ont valu la mise en échec, la mise au placard, en attendant la mise à la porte.

Parmi toutes les questions qui affleurent :

— Pourquoi, au mépris de l’ergonomie la plus élémentaire, s’obstine-t-on à porter de lourdes charges (un salarié en arrêt de travail plusieurs mois pour des problèmes articulaires) entre les machines, sur des tréteaux-ventouses qui transforment les espaces de circulation en labyrinthe, alors que pour quelques euros il serait facile de construire de pratiques chariots à roulettes, comme dans les ateliers modernes ?

— Pourquoi un moniteur est-il obligé d’aller emprunter à un ami artisan un outil nécessaire à la fabrication de trois malheureuses portes de cuisine, qui traîne depuis des mois ? Pourquoi des commandes sont-elles prises sans planification rigoureuse, sans considération du matériel (in)disponible, sans réelle prise en compte de l’intérêt du patient, et sans jamais l’y associer ?

— Pourquoi met-on entre les mains de patients à la vigilance compromise du matériel vieux parfois de plus de vingt ans, réparé de bric et de broc ? Pourquoi les contraint-on à utiliser des scies ou des rabots dont même un brocanteur ne voudrait pas ? (Tiens, au fait, les seuls rabots corrects de tout l’atelier ont été achetés sur mon instigation.)

— Pourquoi fait-on hurler des machines à longueur de journée, au nom de techniques dépassées, enfermant les patients sous des casques propices à l’isolement psychotique, au lieu de favoriser des techniques manuelles raffinées comme il en existe ?

— Pourquoi faire traîner des mois la fabrication narcissique d’un escalier avec des patients dont la plupart n’en verront ni la fin ni le début, et dont nombre d’opérations sont l’apanage du seul moniteur, au lieu de leur confier de A à Z des réalisations qu’ils pourraient maîtriser ?

— Pourquoi stocke-on des lourdes planches dans un espace de circulation exposé aux variations d’humidité, pour ensuite les passer dangereusement par un couloir réservé aux personnes ? Pourquoi se contente-t-on de punaiser de vilaines affichettes « Défense de marcher sur les planches » quand on pourrait dépasser cette pauvre pédagogie de l’interdit pour associer les patients à l’organisation de leur espace de travail et à la gestion des matières premières qu’ils utilisent ?

— Pourquoi entend-t-on, prononcées quotidiennement, des phrases méprisantes comme : « On va pas leur acheter de scies, tu parles, pour qu’ils scient des pointes avec ! », « Ah ben ça leur fait du bien » ?

—Qu’y-a-t-il de thérapeutique à faire casser avec des outils préhistoriques dangereux une épaisse allée de bitume ?

— Pourquoi un patient à la fibre militante est-il menacé d’hospitalisation pour avoir écrit un tract somme toute cohérent et sans réelle portée ?

— Pourquoi une monitrice méritante est-elle obligée de patienter dix ans pour obtenir un C.D.I. ?

— Pourquoi préfère-t-on demander à un patient, en réunion publique, s’il a changé de slip, plutôt que de s’intéresser à sa lecture de « Le désert des Tartares » ?

— Pourquoi le journal associatif (excellent outil, par ailleurs), ne sollicite-t-il pas davantage la parole personnelle, au lieu de copier en moins bien Wikipédia et Télé-Poche ?

— Pourquoi l’atelier bois est-il incapable de produire la moindre carte de visite et pourquoi n’a-t-il à montrer que de lugubres photos sous-exposées rangées dans de mauvais albums, alors qu’avec les moyens modernes et peu coûteux de la micro-édition, on pourrait faire des documents attrayants valorisant les patients dans leurs gestes professionnels et leur vie en équipe ?

— Pourquoi sont-ce toujours les mêmes qui parlent en réunions, tandis que les autres écoutent religieusement (ils appellent cela « la messe ») ou n’émettent que des paroles tristement consensuelles ? Pourquoi, plusieurs siècles après Versailles, bénéficient-ils de confortables sièges à accoudoirs tandis que les autres restent bras croisés sur des chaises pliantes ?

— Pourquoi continue-t-on de dire « la maladie mentale » quand cette notion réductrice est largement remise en question par des psycho-pathologistes reconnus ? Peut-on toujours faire comme si on avait lu Lacan et ignorer qui sont Boris Cyrulnik (il n’est pas assez médiatique ?), Stanley Milgram, ou même Primo Levi, comme je l’ai entendu ?

Qu’est-ce que ces questions, parmi d’autres, révèlent d’un fonctionnement ? Et comment le qualifier ? Archaïque ? Routinier ? Replié sur lui-même ? Idéologique ?

Doit-on chercher à perpétuer un ordre social aux accents paternalistes, ou doit-on faire éclore les potentiels des plus faibles en stimulant leur capacité critique de citoyen ? (Tiens, ce serait presque une définition du travail éducatif.)

En tout cas, d’un point de vue humaniste, il est nécessaire d’alimenter le débat autour des pratiques d’établissements comme le vôtre, notamment par le témoignage. Aussi, afin de mieux renseigner les organismes concernés, je serais heureux de recueillir votre apport à mon questionnement.

Dans cette attente, je vous prie d’agréer, Messieurs, l’expression de mes salutations distinguées.


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